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Des méthodes de maillage innovantes pour la simulation dans l’aéronautique, le spatial et la défense

Équipe historique du centre Inria de Saclay, Gamma conçoit des méthodes de maillage au service de la simulation numérique. En 2023, elle se transforme pour devenir GammaO : une équipe-projet commune avec l’ONERA, Office national d'études et de recherches aérospatiales. Ce rapprochement va permettre aux industriels de mener des simulations numériques jusqu’alors difficilement envisageables.

02 octobre 2023


Simulation d'un avion supersonique.
Dans le fond de l’image, on voit l'adaptation du maillage sur les ondes de choc émises par l'avion

En 30 ans, la simulation numérique a fait un bon de géant. Grâce à elle, les ingénieurs peuvent aujourd’hui appréhender des problèmes d’une saisissante complexité physique ou géométrique. Les constructeurs industriels en sont toujours plus friands. Mais cette science continue de dépendre d’un élément clé : le maillage. Celui-ci permet de représenter une surface ou un volume en juxtaposant de petits triangles ou de petites briques sur lesquelles on peut ensuite effectuer du calcul. Dans le domaine 3D, il s’agit souvent d’éléments à quatre ou six faces. On les appelle des tétraèdres et des hexaèdres. La précision de cette représentation conditionne la qualité de la simulation.

Problème : pour bien représenter les phénomènes, il faudrait parfois recourir à un maillage de très haute résolution affichant beaucoup de détail. Mais le coût de calcul s’avère alors totalement prohibitif. Impossible donc de mener certaines simulations.

Optimiser localement la précision dans le maillage

Que signifie « anisotrope » ?

Un phénomène anisotrope présente des caractéristiques physiques qui dépendent de l’orientation.
C’est le cas par exemple pour une couche limite, une onde de choc ou la zone dans laquelle évolue un arc électrique.

Et c’est là que Gamma intervient. Créée en 1996, cette équipe de recherche du Centre Inria de Saclay est à l’origine d’une méthode très innovante appelée maillage adaptatif anisotrope (voir encadré). “Elle nous permet d’augmenter la précision dans le maillage aux endroits où c’est important pour étudier la physique, résume Frédéric Alauzet, responsable de l’équipe. Nous nous appuyons pour cela sur des théorèmes mathématiques. Et de la même façon que nous pouvons ajouter de la résolution, nous pouvons aussi en retirer là où elle importe peu. Ce qui diminue d’autant le coût de calcul.” À la clé : des simulations jusqu’alors hors de portée.

Parmi les logiciels précurseurs, Gamma a développé Feflo.a : un mailleur automatique et adaptatif distribué par l’éditeur français Lemma. Pour l’instant, cependant, beaucoup d’industriels effectuant de la simulation n’ont pas encore franchi le pas.

La création d’une équipe commune avec l’ONERA vise à accélérer l’adoption de ces méthodes dans des secteurs qui pourraient en avoir grandement l’usage. En l’occurrence, “l'aéronautique, le spatial et la Défense, énumère Guillaume Puigt, du Département multi-physique pour l’énergétique à l’ONERA et co-responsable de l’équipe. Ce sont nos trois domaines de spécialité. Nous travaillons sur ces sujets en interaction avec les grands industriels du secteur. Le but avec l’équipe commune, c’est d’amener ces acteurs à adopter le maillage adaptatif. Cet outil fortement différenciant va représenter pour eux un vrai intérêt stratégique. L’ONERA peut fournir des cas d’usage très pertinents pour lesquels ces méthodes innovantes trouvent tout leur sens. C’est vrai par exemple pour la combustion, la magnéto-hydro-dynamique, le plasma ou encore les écoulements hypersoniques. Autant de phénomènes pour lesquels nous pouvons livrer des modèles physiques et utiliser l’adaptation de maillage.

© Inria - Benoit Fourrier

Dans cette équipe commune, l’ONERA apporte aussi son expertise sur des domaines qui ne sont pas couverts par Inria. “Par exemple, tout ce qui concerne la multi-physique d’une chambre de combustion. Nous sommes donc très complémentaires. Actuellement, nos deux domaines scientifiques n’ont pas d’intersection. Or c’est justement à cette intersection que nous avons tout intérêt à travailler. L’autre apport de l’ONERA réside dans la mise à disposition aux industriels de briques logicielles de chaîne de calcul dans un environnement de calcul parallèle tournant sur supercalculateurs. Rendre de tels calculs adaptatifs parallèles chez les industriels fait également partie de la feuille de route de GammaO.

Les scientifiques viennent de présenter leurs travaux devant cinq grands acteurs de la simulation numérique : Safran, Dassault Aviation, ArianeGroup, Airbus et le CEA-Cesta. “À la fin de la réunion, un responsable de Safran nous confiait qu’au départ, ils n’envisageaient pas de se tourner vers l’adaptation de maillage. Mais le travail mené par Gamma et le fait que l’ONERA s’associe à Inria dans cette équipe libère beaucoup de nouvelles perspectives.

Depuis de nombreuses années, le motoriste finance d’ailleurs des travaux menés dans l’équipe. “C’est un partenariat gagnant-gagnant dans lequel on établit d’un commun accord une feuille de route, témoigne Frédéric Alauzet. L’entreprise nous fait entièrement confiance : elle nous laisse proposer et élaborer des solutions, ce qui est fondamental. Cela permet d’aller vers des choses que l’industriel n’aurait pas initialement envisagées. Le financement sur du long terme apporté par Safran nous permet de nous focaliser que sur l’aspect recherche.” Un partenariat de recherche sur le même modèle est en discussion avec ArianeGroup.

Consortium européen pour une aviation verte

Devenue GammaO, l’équipe participe à NextAir, un projet européen centré sur la réduction des émissions de CO2 par l’aviation. Dans ce cadre, les scientifiques étudient deux cas d’usage. “Avec Safran, nous travaillons sur l’intégration du moteur sous voilure. Quand on veut calculer les performances moteur, on est obligé de rajouter l’avion. Le motoriste souhaiterait donc pouvoir simuler les deux en même temps. Avec Dassault Aviation, nous étudions des ailes laminaires pour réduire la consommation de carburant. Il s’agit de coupler adaptation de maillage avec des modèles de turbulence complexes. Le but est de voir si le maillage adaptatif peut apporter une meilleure précision à ces modèles.

Depuis des années, les scientifiques d’Inria participent également aux ateliers de recherche organisés par l’Agence américaine de l’aéronautique et du spatial. L’AIAA fournit des géométries sur lesquelles tous les chercheurs peuvent venir effectuer des calculs pour ensuite comparer leurs résultats. “Dans le nouveau workshop, nous avons à la fois les simulations numériques et les résultats d’essais en soufflerie (réalisés d’ailleurs par l’ONERA). La comparaison est évidemment très intéressante. À partir de là, ce que nous voudrions, c’est produire pour l’utilisateur une solution de calcul numérique qui recouperait les résultats en soufflerie qu’il a commandés.

Rendre possibles des simulations aujourd’hui impossibles

Un autre aspect des travaux concerne le plasma. Le cas d’étude porte sur le foudroiement d’un aéronef en vol. “Un avion de ligne est foudroyé en moyenne une fois par an, indique Guillaume Puigt. L’appareil reçoit une énorme décharge électrique. Tant que les avions étaient en aluminium, matériau conducteur, cela ne posait pas trop de problèmes. Mais désormais les structures sont en fibre de carbone et en résine supportant mal les températures extrêmes.” Devant les cinq industriels, les scientifiques ont présenté des travaux sur l’interaction entre un arc électrique et une paroi de la soufflerie en matériau composite. “Nous arrivons à reproduire la physique correspondant aux données qui ont été mesurées. Avec une simulation sur maillage adaptatif, cela représente 10 jours de calcul sur les super-calculateurs de l’ONERA. Avec un maillage classique, il serait tout bonnement impossible d’appréhender ce phénomène sur les super-calculateurs que nous avons aujourd’hui. Grâce à la méthode de GammaO, nous parvenons à calculer une solution qui, de surcroît, est la bonne !

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