- Accueil
- Actualités
- Les drones sur la voie de l'autonomie
Les drones sur la voie de l'autonomie
Aujourd’hui, les drones sont le plus souvent pilotés par des opérateurs déportés. Mais de nombreux laboratoires, dont l’ONERA, souhaitent les rendre plus autonomes, afin d’améliorer leur efficacité opérationnelle. Le point avec Claude Barrouil, directeur scientifique à l’ONERA du domaine « Traitement de l’information et Systèmes »…
L'interviewLes drones actuels ne sont-ils pas déjà autonomes ? |
|
Claude Barrouil : Pas vraiment. En simplifiant un peu, disons que les drones opérationnels aujourd'hui sont des automates, "téléguidés" par des opérateurs. Certains comportent déjà des automatismes assez poussés. Ainsi, la plupart des drones sont capables de se rendre tout seuls jusqu'à la zone où débute leur mission. Mais ensuite, ce sont les opérateurs qui prennent la main. Or, utilisateurs et concepteurs aimeraient pousser plus loin cette autonomie, en donnant aux drones la possibilité de prendre certaines décisions par eux-mêmes. En effet, en raison de son éloignement l'opérateur déporté n'a pas toujours une bonne conscience de la situation et une intelligence embarquée peut être plus efficace pour réagir aux imprévus. |
Claude Barrouil, directeur scientifique de la branche Traitement de l’Information et Systèmes. |
C.B. : Non, elle intéresse également le spatial, la police et la douane (pour la surveillance des frontières ou des activités en mer par exemple), et même les transports terrestres, quand on envisage d’éventuelles autoroutes automatisées. Quelles sont les principales difficultés à résoudre pour accéder à cette autonomie ? C.B. : L'une des plus importantes concerne la perception au sens large. Pour devenir plus autonomes, les drones doivent être capables à la fois de collecter des informations sur leur environnement, de les comprendre, puis de réagir en fonction de ce qui aura été compris, ne serait-ce que pour décider s’il est encore nécessaire de continuer à collecter de l’information avant de passer à l’action. Cela imite le comportement des êtres intelligents. Cette perception est orientée dans deux directions. Lesquelles ? C.B. : Vers l'intérieur, tout d'abord. En cas de panne ou de défaillance, il faut que le drone soit capable de se reconfigurer, de s'adapter afin de pouvoir terminer sa mission, ou de rentrer à la base en bon état. C'est ce que l'on appelle la fonction FDIR (Fault Detection Isolation and Recovery). Il s'agit d'une fonction importante, notamment pour les engins spatiaux, susceptibles de partir pour des missions très longues. Quelle est la seconde direction ? C.B. : L'environnement extérieur, bien sûr. Les drones sont généralement conçus pour réaliser de l'observation et du renseignement. Mais aujourd'hui, s'ils collectent les informations et les images, ils ne les analysent pas. C'est un opérateur déporté qui s'en charge. Renforcer leur autonomie suppose donc d'accroître leur capacité à traiter et analyser à bord ces informations. Imaginons par exemple qu'un drone armé soit envoyé en mission pour détruire des batteries ennemies. Il serait intéressant qu'il puisse par lui-même les reconnaître et les identifier, afin d'aider l'opérateur à prendre la bonne décision au bon moment. Le drone alerterait l'opérateur quand il penserait avoir détecté une cible et demanderait une simple confirmation pour enchaîner sur le traitement de l’objectif. Le but n'est pas de se substituer à l'opérateur, mais de lui préparer le travail au maximum afin qu'il puisse se concentrer dans de meilleures conditions sur les décisions cruciales, notamment les décisions de tir. De plus cette assistance à l’interprétation d’images permettrait de réduire le volume d’information passé sur la liaison de données… L'autonomie peut-elle aller jusqu'à laisser le drone prendre des décisions d'emploi des armes ? C.B. : Les militaires français sont très clairs à ce sujet : ils tiennent absolument à conserver la décision finale de l'emploi d'une arme. A ce niveau, il ne saurait y avoir d'ambiguïté sur le partage d'autorité entre l'homme et la machine. L'objectif est plutôt que le drone puisse donner à l'opérateur une bonne conscience de la situation grâce à ses systèmes de perception embarqués. L'ONERA travaille-t-il sur ce thème de la perception ? C.B. : La perception est au cœur du programme de recherche SPIDER (Système de Perception et d’Interprétation Dynamique pour l’Environnement uRbain). Nous avons la chance au sein de l'ONERA de posséder des compétences très complémentaires pour travailler sur ces sujets : des spécialistes d'optique, d’optronique, de SAR (radar à synthèse d'ouverture), de traitement de l'image, de planification en ligne et de contrôle. Cela nous confère un véritable atout pour avancer dans ces domaines. Sur quels autres sujets faut-il encore progresser pour rendre les drones plus autonomes ? C.B. : Un drone comporte de nombreuses fonctions - dédiées à la mise à jour du plan de mission, à la gestion de la mobilité, à la perception à la coopération entre agents, à la gestion des communications - qui restent assez indépendantes les unes des autres. Aucun de ces volets n’est complètement maîtrisé et des programmes de recherche sont nécessaires. De plus, il faut faire un peu ce qu'a fait la nature avec le cerveau, c'est à dire intégrer ces différentes fonctions dans un ensemble plus global, capable de coordonner le tout. Nous avons une certaine expérience en la matière. Voilà dix ans déjà que nous avons développé l'architecture décisionnelle d'un drone sous-marin. Nous avons mis en place le programme de recherche AMAO pour proposer une architecture logicielle embarquée complète pour un drone armé. Et puis aussi il y a l’aspect « facteurs humains » : un drone à forte autonomie ne saurait présenter un intérêt que s’il reste gérable par son opérateur déporté. L'autonomie d'un drone pose également le problème de la sécurité&hellip: C.B. : Si l'on veut faciliter l'usage des drones, il faut effectivement garantir qu'ils ne présentent pas de danger pour la population. Un drone qui serait utilisé pour surveiller un feu de forêt ou pour inspecter un ouvrage d’art ne doit pas s'écraser sur les habitants voisins ! Cela suppose de rentrer dans une logique de certification, comme c'est déjà le cas dans l'aviation civile. A l'avenir, les drones ne devront plus être considérés comme des engins à part mais comme des avions ordinaires, avec les mêmes exigences de sécurité. Cette dimension devra être prise en compte dès leur conception, afin de pouvoir apporter plus facilement la preuve qu’il répondent à une exigence de niveau de risque raisonnable. L'ONERA a des atouts dans ce domaine : nous avons une longue expérience en ingénierie des systèmes critiques et en sûreté de fonctionnement. Dans le cadre du partenariat AIRSYS avec AIRBUS nous apportons une forte contribution en ingénierie système pour les avions de transport. Nous avons mis en place le programme de recherche IDEAS pour définir une méthodologie et des outils adaptés à l’insertion des drones dans la circulation aérienne générale. Pensez-vous que les drones pourront un jour opérer totalement seuls ? C.B. : On ne passera pas du jour au lendemain de drones téléopérés à des drones complètement autonomes. La transition sera sans doute progressive. Je pense plutôt qu’au fil du temps les drones seront dotés de fonctions d’assistance de plus en plus poussées. L'opérateur pourra alors considérer le drone comme une ressource de services et il agira en lui adressant des requêtes. Toute cette démarche ne sera pas sans conséquence sur les concepts d'opération des avions de transport. Les avancées dans le domaine de l'autonomie bénéficieront à l'assistance au pilotage, et peut-être voyagerons-nous un jour dans des avions sans pilotes de la même façon que nous empruntons sans crainte aujourd'hui les métros sans conducteurs. Compléments techniques
|
|
|
Ici, une vue d'artiste du projet micro-drone Remanta, inspiré de la libellule. |
Des yeux, mais pas n’importe lesquels. « Nous cherchons à développer des systèmes innovants qui associent étroitement et dès le départ le capteur optique, le système de traitement de l’image et le système de commande du drone. En cela, nous nous inspirons de ce que fait la nature. Certains animaux, notamment des insectes, atteignent des performances de vol remarquables, en associant intimement perception et motricité », explique Guy Le Besnerais. L’un des volets du projet porte sur l’egolocalisation, c’est-à-dire la capacité pour le drone à connaître sa position en permanence, même en l’absence de signal GPS. Un autre axe porte sur les fonctions DRI (détection, reconnaissance, identification). « Nous essayons de doter les drones de fonctions de perception évoluées, comme la détection et le pistage de cible en milieu urbain, destinées à faciliter le travail de l’opérateur », conclut Guy Le Besnerais. |