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L’aile ONERA-M6, star de la CFD
L’aile ONERA M6, créée dans les années 70, est connue de tous les aérodynamiciens du monde. Elle sert de référence pour valider les méthodes numériques de simulation des écoulements . Ici, l’aile ONERA-M6 est utilisée pour des études sur la précision de nouvelles techniques de calcul (Projet Aghora).
Simulation numérique : la preuve par la validation
Comme faire une bonne simulation numérique ? Avec des modèles pertinents mis en œuvre dans un bon logiciel ! Le logiciel et ses modèles doivent en effet être préalablement validés dans le domaine où on les utilise, pour espérer des résultats fiables.
Qu’est-ce qu’une validation en matière scientifique ? Cela consiste à montrer qu’une hypothèse est conforme à l’expérience qu’elle est censée expliquer. En simulation numérique, la validation consiste à montrer qu’un logiciel, et donc les modèles qu’il emploie, donnent des résultats conformes à l’expérience. Le logiciel peut alors être utilisé en confiance dans des conditions proches de celles de la validation.
Exemple de comparaison modèle (rouge) –expérience (points) .
Répartition du Coefficient de pression sur le contour d’un plan de coupe
de l’aile M6 en fonction de l’abscisse à l’intrados et à l’extrados
En simulation des écoulements, il s’agit donc de tester la capacité du logiciel à décrire correctement la physique de l’écoulement. L’ingénieur développeur est amené à comparer précisément les résultats de son logiciel à des résultats expérimentaux sur une configuration générique correspondant à son domaine d’utilisation. En pratique, il existe un grand nombre de configurations, appelés cas tests, qui présentent des résultats expérimentaux sous forme de base de données, ainsi qu’une description détaillée des conditions de l’expérience (géométrie, physique…).
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Maillage de l’aile M6 pour les calculs CFD, préparé par John C. Vassberg
(Boeing Technical Fellow) et Antony Jameson (professeur à Stanford University)">
Bien sûr, quand on utilise un logiciel dans une configuration hors du commun, on peut être amené à créer au préalable un nouveau cas-test, avec la campagne expérimentale qui convient. La validation coûte en temps et en argent - surtout s’il faut monter une campagne d’essais - mais c’est une condition nécessaire pour avoir un résultat fiable. L’argument validation est à considérer avant de se lancer dans le choix d’un logiciel pour une configuration donnée.
L’aile ONERA-M6
L’aile en flèche M6 a été conçue par Bernard Monnerie et ses collègues aérodynamiciens de l’ONERA en 1972 dans le cadre d’une coopération dans le cadre de l’AGARD2, pour servir de support expérimental à des études d’écoulements tri-dimensionnels à des vitesses transsoniques et à des nombres de Reynolds5 élevés (conditions représentatives de vols réels d’avions militaires et civils). Cette aile a l’originalité d’avoir été définie de façon purement analytique (c’est-à-dire définie par équations mathématiques et non par CAO – Conception assistée par ordinateur ou de manière empirique).
L'aile M6 dans la soufflerie S2MA de l'ONERA
La campagne expérimentale s’est déroulée dans la soufflerie S2MA (ONERA Modane), avec des nombres de Mach3 de 0.7, 0.84, 0.88 et 0.92, pour des angles d’incidence4 de 0 à 6°, et un nombre de Reynolds5 d’environ 12 millions.
Les résultats de ces essais ont été consignés en 1979 dans un rapport AGARD par Volker Schmitt et François Charpin, ingénieurs à l’ONERA. La base de données des résultats de l’aile ONERA-M65 a été utilisée des centaines de fois pour valider des logiciels de CFD1 et est toujours employée dans le monde entier. C’est un des cas tests les plus « populaires » , particulièrement adapté à la compréhension et à l’évaluation des modèles de transition laminaire-turbulent, d’interaction onde de choc-couche limite, de décollement… phénomènes caractéristiques de ce qui se produit sur les ailes à l'approche de la vitesse du son.
Le dessin de l'aile ONERA-M6, ainsi que le détail du profil ONERA D qui a servi de point de départ à sa conception. Ce profil symétrique est aussi un grand classique de la mécanique des fluides expérimentale.
Quelques chiffres concernant l’instrumentation :
- 271 prises de pression de 0.8 mm de diamètre à l’extrados et l’intrados
- une balance dynamométrique de paroi à 5 composantes
- enduits visqueux pour visualiser les lignes de courant pariétales
- sublimation d’acénaphtène pour localiser la transition laminaire-turbulent dans la couche limite
- jauge de contrainte, capteur de pression instationnaire, accéléromètres pour analyse du tremblement
L’acénaphtène est un hydrocarbure constituant du goudron. Un film d’acénaphtène étalé sur l’aile a la propriété d’être « arraché » (on dit sublimé) quand l’écoulement est turbulent, ce qui permet de différencier les zones laminaires (en blanc) des zones turbulentes (en noir), la frontière caractérisant la transition.
Notes :
[1] CFD = Computational Fluid Dynamics, soit Simulation numérique des écoulements
[2] AGARD : Advisory Group for Aerospace Research and Development, soit Groupe consultatif pour la recherche et le développement en aérospatial. Il s’agissait d’une agence de l’Otan (organisation du traité de l’Atlantique nord) qui a existé de 1952 à 1996, dont les finalités étaient principalement militaires. Son rôle était de favoriser les échanges d’information entre centres de recherche aérospatiaux. En 1996, le groupe AGARD a fusionné avec le DRG de l’Otan (groupe recherche défense) pour former le RTO (Research and Technology Organization). De nombreuses bases de données pour la validation des logiciels de simulation, notamment en aérodynamique, ont été créées et partagées parmi les membres de l’OTAN, sous l’égide de l’AGARD. L’aile Onera M6 en est un des cas les plus connus. L’ONERA, membre de l’AGARD dès les débuts, est depuis partenaire du RTO.
[3] Le nombre de Mach (Ma), sans dimension, exprime le rapport de la vitesse d’un écoulement à la vitesse du son. Le nombre de Mach dans l’air dépend de la température donc de l’altitude. Mach 0.7 correspond à 0.7 fois la vitesse du son, soit 0,7 x 300 m/s = 210 m/s à l’altitude 10.000 m. Mach 0.7 c’est 0.7 * 340 m/s = 238 m/s au niveau de la mer.
[4] Incidence : angle entre la corde du profil et la direction du vent attaquant le profil (souvent noté alpha)
[5] Le nombre de Reynolds (Re) est un nombre sans dimension utilisé en aérodynamique. Il représente le rapport entre les forces d'inertie et les forces visqueuses présentes dans l’écoulement. C’est un paramètre essentiel pour caractériser le régime d’écoulement dans la couche limite proche de la paroi : entièrement laminaire aux très faibles Re, entièrement turbulent aux très grands Re,…).
[6] Les principaux résultats concernant l’aile M6 sont consignés dans :
Schmitt, V., and Charpin, F.,Pressure Distributions on the ONERA-M6 Wing at Transonic Mach Number, AGARD AR 138, May 1979.
Éléments réunis par Sylvain Gaultier, ONERA