- Accueil
- Actualités
- A la rencontre de la turbulence
A la rencontre de la turbulence
Comprendre les phénomènes de turbulence dans le sillage d’un avion ou à l’intérieur des réacteurs permet d’optimiser les performances aéronautiques. Mais si les équations sont connues, elles ne sont pas pour autant faciles à résoudre. D’où le recours à des modèles plus ou moins sophistiqués.
Numéro 23
|
Pour un pilote ou un passager, la turbulence est une zone agitée, où le premier doit bien contrôler ses commandes tandis que le second attache sa ceinture. Pour le scientifique, la turbulence représente bien autre chose. C'est un phénomène dû à l'écoulement de fluides (gazeux ou liquides) lorsqu'ils rencontrent un obstacle. Cela concerne aussi bien l'écoulement de l'air autour de l'avion que le mélange des gaz dans le réacteur. " La turbulence, ce sont tous les écoulements qui ne sont pas laminaires, explique Bertrand Aupoix, directeur de recherches à l'Onera. Dans un flux laminaire, l'air ou le liquide s'écoulent presque sans frottement et sans mélange. Dans le cas contraire, il se forme des tourbillons plus ou moins gros. |
" Selon les cas, on cherche à augmenter ou diminuer la turbulence. L'écoulement sur la " peau " de l'avion doit ainsi être le moins turbulent possible, pour diminuer la traînée (voir le Zoom in the lab " Indésirable traînée ") et réduire la consommation des avions. Mais la turbulence augmente aussi le frottement sur la paroi de l'avion et améliore l'efficacité des gouvernes. Et dans les chambres de combustion des moteurs, les ingénieurs recherchent la turbulence pour mélanger au mieux le carburant et l'air, et optimiser ainsi la combustion. Mais que l'on souhaite augmenter ou diminuer la turbulence, il est important de bien la connaître.
Or, la turbulence est paradoxale : on connaît parfaitement les équations qui la décrivent, et ce depuis 1827. Et pourtant, on est incapable de résoudre ces équations dites de Navier-Stokes, car les calculs deviennent vite effroyablement complexes. " En extrapolant l'augmentation actuelle de la puissance de calcul informatique, il faudrait attendre 2080 avant de pouvoir résoudre ces équations pour l'air entourant un avion ", relève Bertrand Aupoix. Il faut donc faire des modèles qui simplifient la réalité, mais permettent de calculer avec la meilleure approximation possible ce qui se passe autour des ailes ou dans les réacteurs.
Son équipe a notamment travaillé sur la prévision du décollement de la couche limite, la couche d'air adhérant à la paroi des avions. Ce décollement peut être catastrophique pour la portance de l'avion. Or, certains modèles prévoyaient une portance maximale supérieure de 50 % à la réalité. |
|
|
Bertrand Aupoix tente également de mieux modéliser les écoulements à très grande vitesse, pour les jets supersoniques. " Dans les réacteurs de ces engins, le mélange turbulent est inhibé, ce qui nuit à l'efficacité du moteur. Mais les modèles ne reproduisaient pas ce phénomène. " Il prend en compte les fortes variations de masse volumique de l'air en sortie de réacteur, dues aux grandes différences de température entre le jet sortant du réacteur et l'air ambiant. Et il s'intéresse aux écoulements sur des parois rugueuses, qui n'amortissent pas la turbulence comme les parois lisses. Ces parois rugueuses se rencontrent notamment en sortie de moteurs fonctionnant à très haute température, où les tuyères sont fortement abrasées. |
Enfin, le chercheur développe une nouvelle classe de modèles de turbulence, prenant en compte l'histoire de la turbulence, et pas uniquement sa situation à un instant donné. En effet, les modèles habituels supposent que la turbulence s'adapte instantanément à une situation, ce qui n'est pas toujours le cas. Et tous ces modèles, pour quoi faire ? " Nous n'exploitons pas nous mêmes nos modèles, même si nous regardons leurs résultats sur quelques situations réelles ", indique-t-il. Ces modèles, exploités par les autres équipes de l'Onera, sont mis à disponibilité des industriels et de la communauté scientifique pour améliorer les performances aéronautiques.
Cécile Michaut, journaliste scientifique.
|