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De l'air pour le trafic aérien
Pour améliorer la sécurité et l’efficacité du transport aérien, pourquoi ne pas assigner à chaque avion une trajectoire précisément calculée tenant compte du trafic environnant, de la météo, de l’encombrement des aéroports ? Un récent projet européen, mené par l’ONERA, vient de démontrer qu’une telle gestion du trafic est possible à l’échelle du continent européen, même en cas de perturbation.
Zoom in the lab - Numéro 53
Les membres du consortium 4DCo-GC lors de la campagne de simulation finale du projet (voir www.4dcogc-project.org)
Deux avions qui se percutent, c’est extrêmement rare, mais fatal. Plus fréquentes sont les « pertes de séparation », lorsque deux avions en vol sont trop proches l’un de l’autre, pouvant les obliger à des manœuvres pour éviter de se heurter. Afin de réduire encore les risques de collision, même en cas d'augmentation du trafic, un consortium européen mené par l’ONERA étudie un moyen d’éviter totalement que les trajectoires des avions se rencontrent, avant même que les avions ne décollent. C’est le projet 4DCo-GC (4D Contract – Guidance and Control). Son principe : assigner à chaque avion une trajectoire, mais également un horaire précis pour passer à chaque endroit. C’est le « contrat 4D », 4D représentant les quatre dimensions : latitude, longitude, altitude, temps.
Dans cette simulation réaliste, chaque avion suit un contrat 4D, calculé pour assurer sa sécurité. Les résultats sont très encourageants
La notion de contrat 4D provient du projet européen IFATS (Innovative Future Air Transport System) Ces contrats 4D sont calculés à l’avance, pour tous les avions, de manière à assurer la sécurité des vols. Ils peuvent cependant être recalculés en temps réel en cas de complication, par exemple un gros retard d’un avion au décollage. Même lorsque l’avion est en vol, une replanification est toujours possible, pour permettre de gérer les aléas : un vent plus fort que prévu ou un gros orage. Bien sûr, aucun système de mesure ou de guidage n’étant parfait, de petites variations spatiales et temporelles autour de la trajectoire prévue apparaîtront nécessairement à l’exécution du vol. Afin de prendre ce phénomène en compte, mais également pour laisser une certaine liberté à l’avion pour suivre son contrat 4D, des marges spatiales et temporelles sont prises en compte. Sont donc définies des « bulles » autour de chaque avion, représentant la zone où il a le droit de se trouver à un moment donné. Aucune bulle ne doit en rencontrer une autre.
Pour calculer les contrats, 4 dimensions sont utilisées : l'espace et le temps. En haut la définition des bulles de sécurité et de contrat, en bas un exemple de planification
Le projet 4DCo-GC avait plusieurs buts. Tout d’abord, démontrer que l’on était capable de calculer la trajectoire de chaque avion (les contrats 4D), en tenant compte de tous les autres. Montrer également que les avions étaient aptes à suivre ces contrats 4D avec une précision suffisante, pour ne pas obliger à recalculer leur trajectoire en permanence. Après avoir simulé plusieurs milliers de vols simultanés, les résultats se sont révélés très positifs : même en imaginant un doublement du trafic aérien, le consortium a réussi à affecter un contrat 4D à tous les avions, puis à simuler tous les vols sans recalculer en permanence les trajectoires. « Nous avons également simulé des situations d’urgence, comme la fermeture d’un aéroport, ou la perte de pressurisation d’un avion, l’obligeant à perdre brusquement de l’altitude et à atterrir à l’aéroport le plus proche, indique Antoine Joulia, chef de projet pour l'ONERA de 4DCo-GC. Le système se reconfigure sans difficulté particulière, réaffectant de nouveaux contrats 4D aux avions. Il est même plus efficace qu’on ne l’imaginait. »
Deux autres exemples de simulation 4DCo-GC : une approche et une reprogrammation
Outre l’amélioration de la sécurité, primordiale pour éviter l'augmentation du nombre d’accidents avec la croissance du trafic, ce projet doit permettre de rendre le transport aérien plus efficace et plus "vert", en optimisant l’ensemble des trajectoires. « Aujourd’hui, les avions décollent d’un aéroport sans forcément savoir à quel moment ils pourront atterrir, explique Antoine Joulia. Parfois, ils sont obligés de tourner en rond dans le ciel en attendant qu’un créneau se libère. C’est un gaspillage de temps et de carburant. Avec ce nouveau système, on s’assure dès le décollage que la piste sera libre à l’arrivée. »
Un réseau sol est responsable de la gestion (calcul, mise à jour) des contrats 4D. Les avions doivent les respecter, mais peuvent également gérer les situations d'urgence grâce à la connaissance du trafic environnant.
Aujourd’hui, les chercheurs doivent encore peaufiner leurs calculs pour être encore plus proches des situations réelles, notamment en considérant des situations météorologiques plus complexes, ou en simulant une gigantesque perturbation comme celle créée par le volcan islandais Eyjafjallajökull en 2010. Ils doivent également prendre en compte de manière plus précise un certain nombre de paramètres, tels que le remplissage des avions, qui influent sur leur vitesse et leur vitesse ascensionnelle. Enfin, ils doivent regarder ce qui se passe dans les aéroports du monde, alors que leurs calculs n’ont considéré que les aéroports européens. Mais d’ores et déjà, le système de contrats 4D semble très prometteur
Et après ? La balle est dans le camp du législateur. Car l’adoption de ce système de gestion du trafic serait une rupture complète avec la situation actuelle, où les contrôleurs gèrent chaque vol au cas par cas, même si une planification des flux de trafic a été réalisée en amont. C’est très différent d’une gestion où l’on impose chaque jour, à chaque avion, une trajectoire optimale qu’il s’engage à respecter. « La mise en place de ce système impliquerait de gros bouleversements », estime Antoine Joulia. La mise en place du Ciel Unique Européen (programme SESAR), bien plus proche du système actuel, est déjà très complexe. Il faudrait également standardiser l’interface entre le système européen et ceux des autres continents, notamment les principales destinations, l’Asie et l’Amérique.. Le projet 4DCo-GC apporte néanmoins sa pierre à l’édifice qu’est la définition du système de transport aérien du futur : plus sûr, plus efficace et vraisemblablement bien plus automatisé qu’aujourd’hui. Malgré tout, quelle que soit la complexité des calculs et des concepts scientifiques, ceux-ci restent bien plus simples que les questions politiques !
Cécile Michaut, journaliste scientifique