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Nos nanotubes ont le nez creux

Les nanotubes de carbone, de longs tubes extrêmement fins découverts il y a vingt ans, sont très prometteurs pour la fabrication de capteurs capables de détecter les polluants et les explosifs.

06 novembre 2011

Numéro 49 - [projet de recherche fédérateur Onera Sanaa]



 

Dispositif de mesure à base de nanotubes © CNRS/LPN

Dispositif de mesure à base de nanotubes © CNRS/LPN



 

Image de la fonction d'onde électronique d'un nanotube obtenue par microscopie à effet tunnel

Image de la fonction d'onde électronique d'un nanotube obtenue par microscopie à effet tunnel 1



 

L’Onera n’a pas raté le train des nanotechnologies : dès 1998, il s’est intéressé aux nanosciences, qui concernent les objets de la taille de quelques nanomètres, soit quelques milliardièmes de mètres. Le premier programme fédérateur de recherche sur les nanosciences rassemblant plusieurs équipes de l’Onera, a alors été mis en place, puis déployé en trois programmes successifs, dont le dernier s’intitule Sanaa.



« Avant de développer des applications des nanotechnologies, nous devions acquérir des connaissances et des savoir-faire sur ces objets, indique Brigitte Attal-Trétout, directrice de recherche à l’Onera. Il fallait comprendre la physique de nano-objets, mais aussi apprendre à les manipuler. Il fallait pour cela réunir des compétences en physique des matériaux, physique du solide, capteurs, physique des plasmas… »

L’essentiel des recherches a porté sur les nanotubes de carbone, de très longs tubes composés uniquement de carbone, 30 000 fois plus fins que les cheveux. Les chercheurs de l’Onera ont d’abord développé des moyens de synthèse originaux capables de produire des nanotubes de carbone de très haute qualité. Ils ont aussi étudié la structure de ces nanotubes, dont dépendent en grande partie leurs caractéristiques, notamment électroniques. Enfin, ils se sont intéressés à leurs propriétés mécaniques et électroniques.

 

Une des façons de fabriquer des nanotubes de carbone... qui permet aussi de fabriquer des nanotubes de nitrure de bore en utilisant une cible de BN (images de droite)

Une des façons de fabriquer des nanotubes de carbone... qui permet aussi de fabriquer des nanotubes de nitrure de bore en utilisant une cible de BN (images de droite) 2



 

« En étudiant au microscope électronique la structure des nanotubes que nous fabriquions, en analysant in situ la température et la nature des espèces chimiques à chaque étape du processus, et en mettant au point des outils de simulation numérique, nous avons pu comprendre comment nos nanotubes se formaient, raconte Annick Loiseau, directrice de recherche à l’Onera. C’est un peu comme tricoter une chaussette : le catalyseur métallique joue le rôle des aiguilles à tricoter, réunissant les atomes de carbone pour former  le nanotube. Le carbone rentre en désordre, et ressort ordonné. » Ces études sur la formation des nanotubes se poursuivent aujourd’hui : si l’on sait comment démarre le « tricotage », on ne comprend toujours pas exactement comment le nanotube se forme, autrement dit comment  le tricoteur choisit le type de maille.



Or, c’est une question cruciale, puisque  le type de maille détermine les propriétés.

La méthode de synthèse des nanotubes mise au point à l’Onera s’est révélée très polyvalente.

Simulation numérique de la croissance d’un nanotube

 

 

 

 

 

 







Simulation numérique de la croissance d’un nanotube 3



« Nous avons réussi à synthétiser les premiers nanotubes à une seule paroi avec d’autres éléments chimiques que le carbone, notamment ceux à base d’azote et de bore (nitrure de bore) en 2001 ainsi que des tubes à une paroi dopés à l’azote, rappelle Annick Loiseau. Cela nous a amené à fournir des nanotubes de nitrure de bore à de nombreux laboratoires, notamment la NASA. Les nanotubes de nitrure de bore ont des propriétés très différentes de celles des nanotubes de carbone : ils sont isolants, tandis que ceux en carbone sont conducteurs ou semi-conducteurs. Ces nanotubes ont la particularité de pouvoir détecter et émettre des rayonnements dans l’UV lointain. Nous avons étudié ces propriétés, ce qui a nécessité la conception et la mise au point de bancs de mesure spécifiques. »

Principe de la détection de polluants avec des nanotubes

Principe de la détection de polluants avec des nanotubes 4

Une fois ses connaissances sur la synthèse et les propriétés approfondies, l’Onera pouvait s’attaquer aux applications à base de nanotubes, principalement dans le domaine des capteurs et des détecteurs. L’aéronautique a, par exemple, de plus en plus besoin de mesurer des molécules en faible quantité, pour des applications dans l’environnement (détection des polluants) et en sécurité (détection des explosifs). Or, les nanotubes sont très sensibles à leur environnement, leurs propriétés électroniques changent lorsqu’ils adsorbent des molécules. Il est possible d’utiliser cette sensibilité pour détecter de très petites quantités de gaz, jusqu’à une molécule parmi un milliard d’autres, en mesurant simplement le changement de conductivité des nanotubes.

 

« Nous avons fabriqué des détecteurs pour deux molécules modèles, le dioxyde d’azote (NO2) et l’ammoniac (NH3), ils se sont tous deux révélés compétitifs, souligne Brigitte Attal-Trétout. Nous avons particulièrement soigné le protocole de mesure, afin d’être certains que les résultats étaient fiables et reproductibles, car les nanotubes sont extrêmement sensibles à tous les gaz, et il faut être certain de ce qu’on détecte. »

 

Utiliser la modification de la résistance induite par la présence de gaz pour élaborer des capteurs ultra sensibles et sélectifs

Utiliser la modification de la résistance induite par la présence de gaz pour élaborer des capteurs ultra sensibles et sélectifs 5

 

Avantage de ces détecteurs : le changement de  conductivité est facile à mesurer, alors que les détecteurs optiques utilisés aujourd’hui nécessitent des lasers, coûteux et encombrants. « Nous visons des systèmes miniaturisés, à faible consommation d’énergie et faible coût, qui s’intègreraient facilement dans les structures, par exemple un oléoduc, une dalle en béton ou une aile d’avion, explique Brigitte Attal-Trétout. Si nous y parvenons, ce sera une énorme percée. »

 

Des capteurs d'humidité à base de nanotubes pour étudier les traînées de condensation

Des capteurs d'humidité à base de nanotubes pour étudier les traînées

de condensation


 

Un projet de recherche a été déposé auprès de l’Agence nationale de recherche (ANR) en partenariat avec Thalès, afin de développer des capteurs d’humidité, très utiles pour étudier les traînées de condensation en aéronautique.

 



L'absorption infrarouge des nanotubes permet de développer une bolométrie matricielle résistive (mesure du rayonnement par la variation de température et la résistance induite) dont le principe est schématisé à gauche. Le dispositif de mesure étudié à l’Onera est présenté à droite

L'absorption infrarouge des nanotubes permet de développer une bolométrie matricielle résistive (mesure du rayonnement par la variation de température et la résistance induite) dont le principe est schématisé à gauche. Le dispositif de mesure étudié à l’Onera est présenté à droite 6

 

Un autre domaine d’application exploré par l’Onera est la détection infrarouge (IR). Là encore, on exploite la sensibilité de la conductivité électrique des nanotubes à une perturbation : l’exposition des films de nanotubes à un rayonnement lumineux infrarouge qui provoque un changement de température et de conductivité. Une équipe du département d’Optique de l’Onera (DOTA) sous la responsabilité de Ryad Haidar développe ces capteurs, qui présentent l’avantage de fonctionner à température ambiante.

 

Image en microscopie électronique de haute résolution d’une feuille de graphène

Image en microscopie électronique de haute résolution d’une feuille de graphène 7

Les chercheurs de l’Onera s’intéressent aussi aux applications du graphène, une structure composée uniquement de carbone, comme les nanotubes, mais qui se présente sous la forme de très grandes feuilles d’un seul atome d’épaisseur.

 

Cécile Michaut, journaliste scientifique.

 

Compléments des légendes des figures :

1 - Thèse de H. Lin 2009 ; H. Lin et al, Phys. Rev. B 81, 235412 (2010)

2 - Thèses de R. Arenal 2005 et M. Cau 2007. R. Lee et al, Phys. Rev. B 64 (2001) 121405(R) 1-4 ; M. Cau et al Phys. Rev. B 81, 165416 (2010)

3 - H. Amara et al, Phys. Rev. Lett. 100, 056105 (2008)

4 - Source Nanointegris (http://www.nanointegris.com/en/chemical-sensors)

5 - Y. Battie et al, Carbon 49, 3544 (2011)

6 - Ch. Koechlin et al, Appl. Phys. Lett. 96, 103501 (2010)

7 - Crédits J. Meyer, U. Vienna (Autriche)

 

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