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Quand un ingénieur de recherche rencontre un chirurgien...
Un ingénieur de l'ONERA et un chirurgien ORL de Strasbourg réalisent ensemble des prothèses de trachée humaine, fabriquées en titane poreux.
Que peuvent bien avoir en commun un ingénieur de recherche de l'ONERA et un chirurgien ORL du CHU Haute-Pierre de Strasbourg ? Le titane poreux. C'est en effet ce matériau particulier qui a conduit André Walder et le Professeur Christian Debry à se rencontrer il y a une dizaine d'années. Aujourd'hui, en collaboration avec un troisième homme, Gérard Caillieret, Directeur Général de Gervois SA, ils ont décidé de créer une entreprise afin d'industrialiser des prothèses en titane poreux.
Prothèses de trachée pour implantation humaine
Diamètre extérieur 20 mm
Epaisseur de paroi 1,5 mm
André Walder est entré à l'ONERA en 1964, pour y faire une thèse. A l'automne prochain, retraite oblige, il quittera cet établissement où il a effectué toute sa carrière au sein de la Direction des Matériaux. "J'ai travaillé essentiellement sur la métallurgie des poudres", résume brièvement cet homme qui a dirigé notamment le Laboratoire de Métallurgie des Poudres de l'ONERA avant de prendre la responsabilité d'un autre laboratoire du Centre de Palaiseau dont les développements sont centrés davantage sur les composites à matrice céramique et sur le forgeage isotherme.
Il y a dix ans, André Walder est contacté par un ancien stagiaire militaire de l'ONERA. Celui-ci travaille dans une entreprise en relation avec un chirurgien, Christian Debry, qui réalise alors une thèse de doctorat sur le larynx artificiel. Après avoir testé tous les polymères utilisables pour ce type d'application celui-ci est arrivé à la conclusion qu'aucun d'eux ne convenait en milieu non stérile, comme c'est le cas en chirurgie ORL, car ils se détérioraient rapidement. Pour lui, il ne reste qu'une solution : le titane mais sous sa forme poreuse. "La métallurgie des poudres pouvant dériver vers des matériaux poreux, nous connaissions évidemment le titane poreux au sein du laboratoire", indique l'ingénieur de Palaiseau. Rendez-vous est donc pris entre les deux hommes qui ne savent pas encore que ce matériau va les conduire jusqu'à la création d'une entreprise.
Une centaine de rats implantés
De ces dix années de collaboration a émergé une technologie dont l'originalité est d'associer des procédés connus qui, d'habitude, sont utilisés séparément. Celle-ci a permis à André Walder de fabriquer des trachées en titane poreux qui ont été implantées sur plus d'une centaine de rats. D'autres prothèses ont été testées sur des moutons. André Walder tient dans sa main une toute petite pièce qu'il appelle un accordeur de corde vocale. "Certains patients souffrent de paralysie des cordes vocales. Pour diverses raisons, leurs cordes vocales sont flasques. Aussi leur implante-t-on ces petits dispositifs qui permettent de les retendre. Nous les fabriquons maintenant en titane poreux".
Ce matériau est d'autant plus intéressant qu'il est colonisé par les cellules, ce qui évite de remplacer périodiquement la prothèse implantée. Une étude in vitro réalisée à l'Université de Technologie de Compiègne (UTC) a montré en effet que les cellules colonisent totalement le matériau. "Chez le rat la colonisation est telle qu'à l'intérieur de la trachée, on observe la présence des cils vibratiles qui permettent au larynx de faire remonter toutes les impuretés provenant des poumons", note André Walder. Pour mieux comprendre le développement des cellules dans ce type de matériau, Christian Debry poursuit parallèlement des études fondamentales en collaboration avec l'unité de recherche 595 de l'Inserm de Strasbourg. En aval, après accord de plusieurs commissions médicales et administratives, les premiers patients viennent d'être implantés.
Trois hommes complémentaires
La technologie ayant atteint une certaine maturité, l'ingénieur et le chirurgien ont alors envisagé de l'industrialiser. "Un grand groupe industriel était intéressé. Cependant, il souhaitait attendre encore un peu avant de se lancer dans cette diversification. Aussi Christian Debry m'a-t-il proposé de créer une entreprise". Un défi que cet homme qui fêtera bientôt ses 65 ans n'hésite pas à relever. Dès juin 2003, le projet est sélectionné par l'Incubateur de la région Alsace, une façon pour ces deux hommes d'éviter le "maquis de la création d'entreprise" comme ils le soulignent. Actuellement, avec Gérard Caillieret, un industriel qui connaît parfaitement tous les arcanes de l'entreprise, ils bouclent le business plan de ce projet qui pourrait déboucher sur une création entre juin et septembre 2004. Le budget prévisionnel est estimé à 500 000 euros. L'ONERA pourrait aider en fournissant des locaux et des moyens pendant la période de démarrage.
"Je n'imaginais pas de participer à une telle aventure", reconnaît André Walder. "Mais quand on croit à un projet de ce type, la seule solution qui s'offre à vous est la création d'entreprise". Une démarche qu'il connaît. Mis à disposition, il a travaillé à mi-temps durant six ans au sein de l'Anvar où il avait en charge le secteur métallurgie de la Direction de la Technologie. A cette occasion, il a expertisé de nombreux dossiers de candidats au Concours national de création d'entreprise de technologies innovantes, concours auquel il va participer cette année, avec Christian Debry et Gérard Caillieret. Principal atout de ce projet dont le chirurgien de Strasbourg est le porteur, la complémentarité de ces trois hommes.
De multiples applications
Si André Walder reconnaît que créer une entreprise reste une démarche difficile, l'équipe est très confiante tant les débouchés de la technologie développée semblent prometteurs. "Les applications envisagées sont nombreuses. D'autres équipes internationales semblent intéressées par ce type de développement", confirme-t-il. Preuve de l'intérêt que semble représenter cette solution, la création au sein du CHU de Strasbourg d'un groupe de réflexion interdisciplinaire pour imaginer les applications potentielles de cette technologie.